
Qui n’a pas déjà vu ce regard chez son chien ? Certains cœurs fondent devant cet air penaud, d’autres s’énervent, comprenant qu’une bêtise a été faite… Mais personne ne reste indifférent à ce regard!
Alors j’ai voulu vous parler des quelques études assez récentes sur ce sujet! Histoire de démêler un peu ce que l’on croit de ce que l’on sait.
A l’heure actuelle, les scientifiques ne sont pas tout à fait unanimes. Mais il est tout de même communément admis que nos chiens ressentent les émotions primaires. On entend par là : peur, colère, dégoût, tristesse, surprise et joie (le meilleur pour la fin… 😉 ).
Mais il existe aussi des émotions secondaires, qui dépendent d’un contexte et d’un apprentissage, selon notre éducation, la société… On retrouve par exemple la fierté, la honte, la culpabilité, le respect, ou la jalousie (1).
La présence de ces émotions secondaires chez nos chiens n’est pas encore prouvée scientifiquement.

On l’a pourtant déjà tous observé :
Et oui! La très grande majorité des propriétaires de chiens est convaincue qu’ils peuvent exprimer de la culpabilité! Plus de 90% de ceux interrogés dans l’étude (2) ont déjà observé des comportements interprétés comme tel. Ils en concluent que leur chien sait qu’il a fait une bêtise.
Plus de la moitié rapporte aussi que le fait de voir ces comportements chez leur chien les incite à moins les disputer. Mais d’autres études ont montré l’effet inverse : s’il se sent coupable, c’est qu’il sait que c’était une bêtise! Et si malgré les punitions, il continue ses dégâts? C’est qu’il est récalcitrant, et l’intensité des réprimandes augmente, sous le coup de la colère (3).
Parce qu’on le sait tous : retrouver notre logement sans dessus-dessous ne nous fait jamais plaisir! Et pour certains chiens très sensibles comme la mienne, il suffit de pas grand chose… L’absence de caresse en rentrant, un simple soupir, voire une simple émotion de colère, même réprimée (contagion émotionnelle bonjour!), sont déjà des punitions!

Quels sont les comportements associés à de la culpabilité ?
Hecht (2) a posé la question aux propriétaires de son étude, et il ressort principalement :
- avoir une posture basse,
- avoir la queue basse,
- s’éloigner du propriétaire,
- se figer/rester immobile,
- détourner la tête,
- baisser la tête,
- détourner le regard,
- aplatir/abaisser les oreilles,
- approcher en rampant doucement,
- moins sauter ou ne pas aboyer pour ceux qui accueillent d’habitude leur propriétaire de la sorte.



Tests menés sur le sujet :
Le but est de comprendre si certains comportements expriment vraiment de la culpabilité. Si le chien a vraiment conscience d’avoir mal agi. Et c’est loin d’être aussi évident à prouver qu’il n’y paraît…
Voici l’expérience qu’a menée Alexandra Horowitz (2009) (4) :
Chaque maître place son chien dans une pièce avec un bout de saucisse à sa portée. Il lui donne l’ordre de ne pas y toucher puis le laisse seul un moment. Lorsqu’il revient, il observe simplement son chien. Et il doit alors dire s’il pense que le chien a mangé la saucisse, d’après son comportement.
Pour cette étude (représentée en figure 1), sans que les propriétaires ne le sachent, les chiens ont été séparés en 4 groupes, pour lesquelles les situations varient :
- les chiens du groupe 1 mangent la saucisse. L’assiette est vide quand le maître revient.
- les chiens du groupe 2 ne touchent pas à la saucisse. Mais avant le retour du maître, un expérimentateur vient la retirer. L’assiette est donc vide quand le maître revient.
- les chiens du groupe 3 mangent la saucisse. Mais un expérimentateur vient en replacer une juste avant le retour du maître.
- les chiens du groupe 4 ne touchent pas à la saucisse. Elle est donc toujours présente dans l’assiette au retour du maître.
On veut tester si les chiens étaient conscients de mal agir en mangeant la saucisse, et en éprouvaient de la culpabilité. On attend donc que ceux des groupes 1 et 3 en montrent les signes. Ceux des groupes 2 et 4 n’ayant pas touché à la saucisse, ils devraient être tranquilles.

Figure 1 : représentation de l’expérimentation Horowitz 2009 (4)
Résultats de ces études :
Expérience Horowitz 2009 (4) :
Pour cette étude, on attendait donc plus de signes de culpabilité chez les chiens ayant mangé la saucisse (groupes 1 et 3).
Pourtant, les maîtres ont identifié plus souvent ces comportements dans les groupes 1 et 2. Soit à chaque fois que l’assiette est trouvée vide…
Etude Hecht 2012 (2) :
Dans cette étude, les comportements coupables sont étudiés de deux façon :
- par caméra : les chiens sont filmés pendant tout le test. Puis un codage des vidéos permet de noter le nombre de comportements coupables exprimés à chaque phase du test.
- par les propriétaires : en rentrant dans la pièce, ils doivent dire ce qu’ils observent chez leurs chiens, quels comportements sont produits. Mais ils ne peuvent pas voir l’assiette. Ils ne savent donc pas si la saucisse y est toujours ou si elle a été mangée.
L’étude des vidéos ne montre globalement pas de différence entre les chiens ayant mangé la saucisse ou non.
Par contre, les propriétaires semblent mieux réussir à déterminer si leur chien a mangé la saucisse en observant leur comportement quand ils entrent dans la pièce.
Cependant, cette étude comprend plusieurs phases. Ainsi il semble logique que si le chien a déjà mangé la saucisse lors des premiers essais, il y a plus de risque qu’il la mange une fois encore. La réponse des propriétaires pouvait donc être biaisée par ces expériences antérieures. Alors ils ont affiné leur analyse pour n’inclure que les propriétaires se basant uniquement sur l’observation des comportements de leurs chiens. Et ce faisant, ils arrivent eux-aussi à la conclusion qu’il n’y a pas de différence visible entre les chiens ayant mangé la saucisse et les autres.

Alors pourquoi voit-on souvent ces comportements coupables quand nos chiens ont fait une bêtise en notre absence?
Parce qu’on en est sûr! Il nous est tous arrivé de rentrer nonchalamment chez nous, et de trouver notre chien penaud quand on ouvre la porte! Et on sait alors qu’une bêtise a été faite, avant même de la voir!
Plusieurs pistes peuvent expliquer cette observation :
-
un biais de confirmation :
vous savez, le truc qui fait qu’on ne retient notre horoscope que quand il dit un truc qui semble nous concerner, nous donnant l’impression que c’est toujours le cas! De même, on ne fait pas forcément attention aux fois où notre chien fait son regard coupable alors qu’il n’a pas fait de bêtise, ou qu’il ne le fait pas alors qu’il a détruit le canapé… Et le jour où les deux coïncident, ça nous marque tellement qu’on a l’impression que c’est toujours le cas!
-
une contextualisation :
notre chien a appris que l’on n’aime pas trouver l’environnement sans dessus-dessous quand on rentre. Il suffit que les quelques premières fois, il ait senti notre énervement ou qu’il se soit fait disputer, et il a généralisé : on n’aime pas trouver l’endroit dans cet état. Du coup, quand on rentre alors que tout est ravagé, le chien sait que l’on sera énervé et nous offrira tous ces signaux pour nous apaiser. C’est typiquement ce qui s’est passé quand ma chienne était penaude à mon retour, alors que c’est moi-même qui lui avait laissé des papiers à déchiqueter pour s’occuper en mon absence… J’avoue que quand petite, elle trouvait tous les jours un mouchoir à déchiqueter, ça m’énervait… Je ne la fâchais pas, mais je ne l’accueillais pas très chaleureusement non plus… Et comme c’est une sensible, ça a suffit à la stresser dans ces contextes…
Problème : il n’y a pas de preuve à l’heure actuelle que nos chiens soient dotés de ce que l’on appelle la mémoire autobiographique. En gros, ils ne se souviennent pas que ce sont eux qui ont mis l’appartement dans cet état quelques heures plus tôt… Et il y a fort à parier que s’ils faisaient ce lien, les punir à notre retour aurait plus d’impact que ce que l’on peut observer sur le terrain…
-
un généralisation :
si en rentrant quelques fois, on trouve des dégâts et que notre chien perçoit notre agacement, il peut se mettre à associer notre retour à un stress. Dans ce cas, il va souvent commencer par produire ces signes d’évitement de conflit, et se détendra aussitôt qu’on se mettra à l’accueillir chaleureusement. Qui n’a jamais vécu ça : après avoir trouvé des dégâts plusieurs jours de suite, on commence par jeter un œil à l’appartement en rentrant, avant de saluer notre chien. Bien souvent, s’il a été puni les jours précédents, il va produire ces comportements “coupable” alors qu’il n’a rien fait. Et une fois qu’on a fini de vérifier et que l’on n’a trouvé aucune bêtise, on se détend et lui éclate de joie parce qu’il est content de nous retrouver, et qu’il évacue le stress qu’il vient de vivre…

Conclusion :
Ainsi donc, au regard des connaissances scientifiques actuelles, il n’y a pas de preuve que nos chiens ressentent la culpabilité.
D’abord, ils ne sont pas toujours conscients que leur action est une bêtise : si on leur apprend à ne pas monter sur le canapé en notre présence, comment peuvent-ils savoir que la règle se maintient en notre absence? Rappelons-nous que les chiens généralisent mal les comportements appris, qui restent souvent très dépendants du contexte… À nous d’y veiller dans notre travail d’éducation!
Ensuite, il n’y a pas de preuve que le chien possède une mémoire autobiographique, et se souvient précisément des actions qu’il a effectuées il y a 1 heure, 1 jour, 1 semaine…
Alors il semble que ces comportements que l’on associe à de la culpabilité trouvent leur source ailleurs : réponse à notre attitude (voire notre émotion), contexte, expériences antérieures…
Et donc pour éviter les bêtises, rien ne sert de punir!
Mieux vaut gérer l’environnement pour limiter les possibilités de faute et offrir des alternatives à nos chiens. Ainsi que s’assurer qu’ils ne soient pas stressés lorsqu’ils sont seuls et éviter au mieux leur ennui. Et pour les chiens destructeurs, l’aide d’un professionnel (bienveillant évidemment) reste fortement conseillée pour des résultats plus rapides!

Sources :
(1) Duranton C. (2019) Les émotions e nos chiens; 27-28/09/2019 ; Malintrat.