Réflexions

Réflexions personnelles sur l’expérimentation animale…

By 12 décembre 2019 No Comments
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En ces temps de Téléthon, on lit sur les réseaux sociaux tout un tas de réflexions sur l’expérimentation animale et la recherche médicale. Et les critiques fusent!

Il est évident que la plupart d’entre nous est farouchement opposé à la souffrance animale! Or nous savons bien que les conditions d’élevage et de détention des animaux d’expérimentation ne sont pas compatibles avec les normes de bien-être animal qui sont les nôtres.

Pour autant, on lit aussi beaucoup d’idées fausses et d’arguments irrecevables. Parfois par méconnaissance, parfois par manipulation pour mieux convaincre un public non averti…

Dans cet article, je souhaite donner un éclairage sur certains de ces arguments. Comme toujours, je ne prétends pas détenir la seule et unique vérité! Et un débat bienveillant est toujours bienvenu…

Discutons les principaux arguments que j’ai pu lire…. (si d’autres vous viennent, n’hésitez pas à m’en faire part, je rajouterai des paragraphes au fur et à mesure si ça vous intéresse!).

  • « De nos jours, on peut se passer des modèles animaux »:

C’est l’argument que j’ai pu lire le plus souvent.

En effet, les techniques de cultures cellulaires se sont considérablement développées ces dernières années. Ainsi il est « facile » de faire pousser des cellules musculaires en laboratoire, sur des boîtes de Petri.

Ces modèles peuvent être utilisés pour mieux comprendre l’effet d’une maladie sur les cellules qu’elle touche. Par exemple pour la dystrophie musculaire de Duchenne (sujet de nombreuses études soutenues par le Téléthon), les chercheurs font des biopsies de muscles chez des patients atteints et les étudient en laboratoire.

Cependant, ces techniques seules ne peuvent (pour l’instant) pas suffire, pour deux raisons principales :

    • Une raison légale:

      Pour pouvoir mettre sur le marché un nouveau traitement, le laboratoire qui le produit doit obtenir une Autorisation de Mise sur le Marché (AMM). Il constitue pour cela un dossier qui atteste de l’intérêt et de la sécurité de la nouvelle molécule. Ces études doivent être menées chez au moins deux espèces d’ordres différents (rongeurs, lagomorphes, carnivores, primates…).

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  • Une raison biologique:

    Pour les maladies génétiques, le principal axe de recherche porte sur la thérapie génique. En gros, chez les malades, un gène est défectueux. Les cellules qui ont besoin de ce gène ne fonctionnent donc pas comme elles devraient. Le but de la thérapie génique est de faire arriver une copie « normale » du gène concerné dans ces cellules. Elles récupèrent ainsi leur fonction. On peut réaliser cette première étape sur des cultures cellulaires. Si le nouveau gène permet aux cellules malades de mieux fonctionner, on va plus loin.
    Problème : comment faire voyager ce « gène sain » là où l’on veut? Il faut qu’il aille jusque dans les bonnes cellules, sans que le système immunitaire ne s’emmêle…
    Donc avant d’en tirer un traitement, il faut encore trouver un moyen de le diffuser dans tout l’organisme d’un enfant malade… Or à l’heure actuelle, aucun modèle in vitro (culture cellulaire ou modèle informatique) ne permet de tester l’ensemble du processus.

De plus, pour assurer cette diffusion dans tout l’organisme, les recherches s’orientent vers l’utilisation d’un vecteur : un petit virus rendu inoffensif qui va mettre le gène souhaité dans les cellules cibles. Or il est évident que le système immunitaire risque de ne pas voir d’un bon œil l’arrivée de ce virus! Et s’il le désactive sitôt injecté, la thérapie sera un échec… Il est pour l’instant impossible de reproduire le système immunitaire complet (avec cellules, anticorps, interleukines et autres molécules aux noms barbares) dans une boîte de culture cellulaire. Le passage par l’expérimentation animale pour cette étape est encore indispensable.

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  • « Si l’expérimentation animale devait nous aider, on aurait déjà découvert quelque chose! »

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  • Ces expériences prennent du temps:

Pour découvrir un nouveau traitement, pouvoir le mettre en oeuvre et tester ses effets, il faut plusieurs années voire dizaines d’années. Dire que les expérimentations ne fonctionnent pas parce qu’elle ne permettent pas de sortir de nouveaux traitements tous les ans est donc incohérent avec la démarche scientifique. Rien que pour s’assurer de l’efficacité du traitement découvert, il faut suivre les chiens traités sur plusieurs mois. Ensuite seulement on peut commencer les tests grandeur nature sur des humains. Mieux vaut ne pas se précipiter pour passer à cette phase! Il faut d’abord être certain que ce nouveau traitement est sûr et efficace…

  • La communication sur les résultats est délicate:

Les recherches en thérapie géniques sont extrêmement techniques et pointues. Ainsi, pour chaque découverte, même majeure dans le domaine, difficile de communiquer efficacement dessus auprès du grand public… Sauteriez-vous au plafond en entendant que des chercheurs ont trouvé un vecteur efficace pour réaliser le transfert de gène in vitro? Et pourtant, trouver un virus sûr pour permettre d’ajouter le bon gène dans les cellules malades est une étape essentielle de la thérapie! Tout comme le fait de trouver un mode d’administration qui permette de traiter tout le corps d’un seul coup. En 2011, des chercheurs avaient réussi à faire guérir des cellules musculaires sur des chiens, mais cela ne fonctionnait que pour les cellules situées à moins de 2 cm du site d’injection… En 2017, un traitement apportant une nette amélioration chez les chiens est créé. Si les chercheurs communiquent peu sur ces avancées, elles sont pourtant majeures! (voir le communiqué et la vidéo associée)

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  • « Faire subir ça à des chiens est inhumain »

Sur ce point, il s’agit moins de faits que de sensibilité personnelle…

Voici malgré tout quelques éléments à prendre en compte dans la réflexion :

    • Ces chiens naissent malades:

On ne leur « donne » pas la maladie comme on peut parfois le lire. Ce sont des lignées dans lesquelles certains chiens naissent atteints de la maladie, tout comme il existe des épilepsies familiales dans certaines races par exemple. On croise deux parents porteurs (qui eux sont cliniquement sains). Parmi leur descendance, on compte 25% de chiots qui présentent la maladie. Tous les autres sont offerts à l’adoption (contre garantie de stérilisation pour éviter que la maladie ne se répande).

    • Les enfants souffrent tout autant de ces maladies:

Les vidéos filmées dans les laboratoires de recherche sur la myopathie sont terribles. Mais l’ensemble des souffrances observées chez les chiens sont dues à la maladie. Les enfants malades présentent donc les mêmes difficultés et les même souffrances. Je trouve un peu hypocrite de montrer ces images de chiens malades sans montrer les enfants. On fait appel aux émotions du public, sans faire appel à sa réflexion. Il en va de même avec les images de singes avec des vis dans le crâne et autres plaies béantes…
Les règles se sont énormément durcies et c’est une bonne chose! Avant de pouvoir faire une expérimentation sur des animaux, un comité d’éthique doit donner son accord. Et ce même pour une recherche en comportement ou pour faire goûter des croquettes… La règle consiste à utiliser le moins d’animaux possible, et en garantissant les meilleurs conditions de vie possible, en limitant leur souffrance en particulier. Si des dérives restent malheureusement toujours possibles, en France, les contrôles sont stricts malgré tout!

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    • Qui n’a jamais pris un seul comprimé de sa vie?

Il est facile de condamner l’expérimentation animale depuis son canapé, en cliquant sur « partager ». Mais se pose-t-on toutes ces questions le jour où l’on a une grosse migraine et que l’on prend un Doliprane®? Ou lorsque l’on prend sa pilule contraceptive? Un Humex® parce qu’on a le nez qui coule alors que notre rhume passera tout seul en quelques jours de toute façon? Et quand un diabétique s’injecte son insuline? Ou quand un proche a besoin d’une chimio? La médecine a fait de grandes avancées, et notre espérance et notre qualité de vie s’en ressentent. Mais il faut garder en tête que c’est aussi en partie grâce à ces animaux sacrifiés pour nous… Que cela nous plaise ou non… Alors on peut ne pas vouloir donner pour la recherche faisant appel à l’expérimentation animale. Mais pour être cohérent, si l’on veut se lancer dans le dénigrement de ces méthodes, il faut s’assurer de ne plus en tirer aucun bénéfice, quitte à refuser un traitement. Qui est vraiment prêt à cela?

  • Les axes d’amélioration

  • Point sur les comités d’éthique

Avant toute expérience impliquant des animaux vivants, les chercheurs doivent soumettre leur protocole à un comité d’éthique. Celui-ci est constitué d’un groupe d’experts qui déterminent si cette expérimentation est acceptable, en se basant sur la règle des 3R (1) :

  • Réduire : on veut utiliser le moins d’animaux possible. La recherche envisagée doit donc être absolument indispensable. Le nombre d’animaux inclus doit être le plus petit possible, en évitant de répéter inutilement une expérience. Les résultats obtenus doivent être exploités au maximum de ce qu’ils peuvent offrir.
  • Raffiner (de « refine » en anglais) : l’expérience doit être construite de façon à causer le moins de souffrance et d’inconfort aux animaux. Les conditions d’élevage ou de transport sont vérifiées, des examens non invasifs ou le recours à l’anesthésie sont à favoriser. De plus, le medical training (entrainement des animaux aux soins coopératifs) doit être favorisé. Enfin, des limites sont précisées en amont de l’expérimentation : on détermine les points critiques à partir desquels on sortira l’animal de l’étude.
  • Remplacer : partout où c’est possible, les modèles in vitro ou informatiques doivent être préférés aux modèles animaux.
    • Point sur les cosmétiques…

Je suis certaine que nous ne pouvons pas (encore) nous passer de l’expérimentation animal pour la recherche médicale. Par contre, je suis beaucoup plus opposée à son usage pour ce qui a trait aux produits cosmétiques. La réglementation va d’ailleurs dans ce sens. Et je pense que nous avons sur le marché suffisamment de sortes de maquillage, gels douche, shampooings (pour cheveux long, courts, sec, blonds, gras, cassant, frisés etc) pour ne plus avoir besoin d’innovations…

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  • Point sur l’expérimentation en milieu universitaire

Au cours de mes études ou avec des amis du domaine de la biologie, ce sujet de l’expérimentation a fait naître beaucoup de discussions.
En effet, il semble évident qu’il est nécessaire d’apprendre l’anatomie pour devenir chirurgien. Mais qu’en est-il des étudiants de prépa agro-véto qui souhaitent s’orienter vers les productions végétales?
Je trouve intéressant que les futurs chercheurs apprennent les gestes de base lors de leur formation universitaire, mais le nombre d’animaux utilisés pour cela pourrait probablement être réduit, au profit de logiciels de simulation informatique par exemple. Des efforts sont déjà faits, sous la pression des élèves eux-mêmes parfois, mais des améliorations restent probablement possibles dans ce sens.

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Ce sujet est extrêmement complexe et polémique.

Cependant la désinformation va aussi bon train. En l’absence de connaissances scientifiques particulières, on peut penser que poursuivre l’expérimentation animale est inutile. On peut vite tomber dans la théorie du complot : ça coûte moins cher, on ne veut pas revoir nos pratiques… J’espère vous donner ici quelques clés pour vous faire une opinion éclairée, quelle qu’elle soit!

Des différents laboratoires que j’ai pu visiter jusqu’ici, je peux vous assurer une chose : tous ceux qui y travaillaient faisaient leur maximum pour limiter la souffrance et améliorer la qualité de vie de leurs pensionnaires cobayes… Et je crois que si un moyen efficace permettait de se passer complètement de l’expérimentation animale, ils en seraient tous ravis…

 

Pour encore un peu plus de lecture, voici deux articles qui peuvent vous intéresser : l’un sur le site du journal Le Monde, et l’autre sur le site de France Inter.

(1) : https://www.inserm.fr/professionnels-recherche/recherche-pre-clinique/experimentation-animale/regle-3-r-reduire-raffiner-remplacer